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Les âmes errantes

Dans le discours spiritualisant, les âmes errantes sont les esprits qui, après la mort, n’ayant pu rejoindre l’au-delà ni se réincarner, vagabondent dans le monde comme dans des limbes. Ce concept, riche en récits et en images, ne pouvait pas échapper à de très nombreuses illustrations dans l’art. Mais cette exposition, présentant les se veut plutôt comme un exercice sensoriel d’images qui se traversent les unes les autres autant qu’elles sont traversées en elles-mêmes, dans leur matière propre, témoignant d’un passage, d’une apparition intérieure comme celle d’un spectre.

 

Le travail de Sandrine Elberg fait preuve d’une volonté qui tend vers le figuratif, sa photographie (pourtant art par excellence de la captation du visible) montre le résultat d’une contamination du reconnaissable par des formes abstraites. Nommée « Mémoire de l’oubli », la série présentée prend comme support des photographies argentiques vernaculaires, puisées dans les archives de l’artiste, images d’intérieurs ou de paysages, qu’elle soumet dans sa chambre noire à des réactions thermiques et chimiques dévorant l’image initiale. 

 

Un noircissement du tirage se produit alors, l’obscurité s’abat sur les images du quotidien et des traces blanches apparaissent, naissant de cette nuit. Elles évoquent des constellations : la nuit a besoin d’étoiles pour parler d’elle. Elles évoquent aussi les rhizomes : amas de tiges souterraines se nourrissant de la pénombre, de la chambre noire elle-même, enrichissant l’image, en la détruisant, de sa matière organique. Cette série se place dans la continuité d’un long travail de Sandrine Elberg mêlant le scientifique et l’onirisme, faisant du microscopique un univers macroscopique et des visions cosmiques une exploration cellulaire. 

 

Les traces envahissent ces images anodines comme pour dire qu’elles ont toujours été là, qu’elles sont la palpitation des profondeurs sous l’habituel, sous le langage. Les photographies sont ensuite numérisées : « Mémoire de l’oubli » n’est pas seulement la mémoire de l’inconscient, mais aussi de l’argentique, et c’est cette idée de passage qui est au centre de la démarche de Sandrine Elberg. Un autoportrait en Yuki-Onna accompagne cette série, fantôme de l’hiver, éternelle personnification errante de l’éphémère neige, comme une image funéraire de ce qui pénètre les images en les consumant. 

(...)

Nous parlions de « monde flottant » ; au japon, dans les terres de la belle Yuki-Onna, le monde flottant est un courant artistique particulièrement propice à l’érotisme et au fantastique. C’est une chose que la psychanalyse a bien compris : il faut passer par l’onirisme, par le mythe, pour parler de la vérité du corps, de ce réel qui nous restera toujours voilé mais dont l’incapturable est justement la quête autant que le point de départ de l’art.

Hannibal Volkoff (2018)

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